Encore aujourd'hui je les entends, ces cris d'épouvante à travers la nuit noire.
« Il paraît que les derniers qui ont essayé de s'échapper ont eu le droit au supplice du cercueil pendant plusieurs heures d'affilé ! »
« Vous savez ce qui est arrivé à Toki ? Un des éducateur l'a surprise en train de se resservir dans les cuisines l'autre soir, depuis plus aucune nouvelle d'elle »
« Chuut, moins fort ils vont nous entendre ! »
« Je veux partir d'ici... »
« Yukiko m'a dit qu'elle avait trouvé un passage derrière la réserve. »
« Tu plaisante ? Mitsuru a déjà essayé, c'est qu'une rumeur lancé par les éducateurs pour nous faire prendre. »
« Moi j'oserai jamais m'enfuir, j'ai trop peur du cercueil... »
« On pourrait toujours essayer... »
Un hurlement coupa court au débat silencieux parmi les fillettes.
« ...c'était...Toki pas vrai ? »
« Ça venait des toilettes ! »
« J'ai peur... »
« Écoutez voilà le plan... »
Des bruits de pas dans le couloir. Chacun retrouva sa place sous le futon. Les pas s'arrêtèrent devant la porte de papier cloisonnée.
« Une volontaire pour participer à la petite fête organisée pour votre amie ? »
Un frémissement d'horreur parcouru la chambre, tout le monde retenait son souffle. Pour ma part j'étais tétanisée et mes membres luttaient de leur mieux pour réfréner le tremblement dont ils étaient secoués.
La silhouette resta silencieuse encore un moment. Au loin, les cris de Toki semblaient avoir été brusquement étouffés.
« Ça vaut mieux pour vous sales bâtardes, n'espérez pas un quelconque échappatoire à votre peine. La prochaine que je surprends dehors après le couvre-feu aura le droit à un petit traitement de faveur de ma part et de celle de mes collègues. Et croyez bien que l'idée de nous fausser compagnie ne lui trottera plus dans la tête pendant un sacré bon moment. Faites de beaux rêves sales morveuses, demain réveil aux aurores pour les exercices habituels. »
Après un temps qui sembla durer une éternité, la silhouette se fondit dans l'obscurité et les bruits de pas s'éloignèrent.
Il n'y eu plus un seul chuchotement de la nuit. Ce n'est que trois jours plus tard que les débats clandestins reprirent. Toki n'était pas réapparue depuis ce fameux soir. Tout comme de nombreux avant elle, nous ne la reverrions probablement plus jamais.
Chaque perte était pour nous une déchirure. Après tout, nous formions tous une grande et même famille dont le point commun était justement de ne plus en posséder.
Il y avait toujours eu des tentatives de fugue. Parfois, les enfants se faisaient rafler par groupes complets avant d'en subir les terribles conséquences. Peu d'entre eux survivaient. Mais l'espoir des quelques uns ayant réussi à s'échappait brillait en nous comme un mince rayon de lumière dans les ténèbres.
Arrivée depuis peu, j'avais déjà pu être témoin des nombreux supplices réservés à ceux qui ne respectaient pas le code instauré dans l'orphelinat. Et Dieu seul savait combien il était facile d'interpréter le règlement.
Il y avait deux types d'éléments dans l'orphelinat : ceux qui croyaient pouvoir s'enfuir et ceux qui, soit par peur soit par résignation tentaient de les raisonner. Pour ma part j'aimais m'inclure dans le clan des battants. Je ne perdrai pas l'espoir, quoi qu'il en eusse coûté. Chacune de nos réunions nocturnes étaient pour moi comme de véritables rassemblements de guerre. Nous mettions en commun les informations que nous récoltions dans la journée parfois au péril de nos vies, élaborions nombre de plans et missions dans le but de rassembler suffisamment d'éléments pour couvrir nos arrière le jour de notre fuite. La dernière escouade avait été un échec cuisant : aucun enfant n'était parvenu à s'échapper. S'en était suivit nombre de tortures et de sanctions considérables sur l'ensemble des jeunes résidents. Les plus amères, ceux qui n'étaient en rien favorables à une telle fuite ne purent pas même se plaindre aux responsables, tous avaient mystérieusement disparu après l'incident.
C'est pourquoi nous avions décidé cette fois-ci de prendre notre temps et toutes les précautions du monde avant de mettre notre plan à exécution.
Chacun de nous étions dotés d'un numéro de code permettant les échanges de jour sans attirer l'attention. Pour ma part, je m'entendais particulièrement bien avec le numéro 22.
Amaya Endô du haut de ses neuf printemps était l'incarnation de la détermination. Ses parents étaient décédés deux ans auparavant, mais dès son arrivée elle fut acceptée au sein de notre groupe. Jolie brunette aux yeux vert pâles, Amaya était toujours première à se proposer dans les missions risquées. Le hasard n'était en rien à l'origine de ses multiples succès, elle semblait tout simplement naturellement douée pour l'exploration et l'infiltration. Le numéro 22 était la fierté de notre groupuscule. Elle n'avait pour ainsi dire jamais eu à subir la moindre torture jusqu'à présent.
Toujours prête à aider les autres, je lui vouais une admiration sans borne.
Les mauvaises langues chuchotaient qu'elle était en réalité au service des éducateurs eux-même et qu'il s'agissait de la raison pour laquelle elle ne se faisait jamais avoir. Pour ma part j'étais convaincue que Amaya serait la première à se sacrifier pour nous permettre de nous enfuir. Il n'y avait qu'à voir l'acharnement et le courage dont elle faisait preuve à chaque mission.
Amaya me voyait comme une petite sœur à protéger, l'une des rares à vraiment croire en elle.
Malgré notre proximité, quelque chose entravait notre relation. Le jour de la fugue, chacun serait dans l'obligation de s'enfuir par des chemins différents, de sorte à semer les poursuivants. Je n'étais pas folle au point de demander à Amaya de m'accompagner ce jour-là. Nos chances de survie étaient bien trop faibles, et l'une finirait forcément par ralentir l'autre.
De ce fait ce jour scellerait notre destin, et nous ne nous reverrions probablement plus jamais.
Malgré un esprit commun de combativité, chacun d'entre nous évitait de trop s'attacher aux autres. Les pertes dans l'orphelinat étaient fréquentes, et l'arrivée permanente de nouveaux enfants ne pouvaient dissimuler les lourdes pertes que subissaient notre groupe.
Murmures pendant l'atelier de travaux pratiques.
« 22, tu feras quoi quand tu te sera échappée ? »
Amaya saisit le chuchotement comme un véritable acte de bravoure de ma part. Elle prit la journée pour y réfléchir avant de m'annoncer le soir même, peu après notre réunion secrète :
« Je serai détective. Je veux découvrir la vérité et rétablir les injustices dans l'ombre. Je veux chercher là où personne n'ose regarder, je veux aider les personnes qui souffrent, parce que la justice n'aura pas eu le courage de chercher dans les lieux les plus dangereux. On ne me remarquera jamais et je trouverai les coupables là où tout le monde aura échoué ! »
Sa réponse me brisa le cœur.
Ces derniers jours, les éducateurs m'avaient par deux fois surprise en dehors du couvre feu, et m'avaient pour la peine plongé la tête dans la cuvette des toilettes deux nuits durant, tout en veillant à ce que je reste bien consciente durant toute la torture.
Avions nous ne serait-ce qu'un mince espoir d'échapper à notre destin ?
Voyant mon air désespéré, Amaya s'excusa.
« Mais avant cela, nous devons à tout prix nous sortir de cet enfer. »
J'acquiesçais silencieusement.
Derrière les murs de papier, l'éducateur de notre section fit demi-tour.
A l'extérieur, le chien du gardien laissa échapper quelques jappements.
Pendant un bref instant je ressenti une honte profonde d'avoir douté.
Je veux croire en notre réussite. Nous partirons, nous parviendrons à nous enfuir de l'orphelinat.
Rien ne pourrait être plus sûr.
C'est une certitude.
…...
Mais...dans le fond...l'espoir est-il toujours permis...?
- - - - - - - - -
Dis, et si l'on faisait un pari toutes les deux...?- - - - - - - - -
Fragment n°1 , Journal de bord d'Amaya
Journée ensoleillé.Est-ce que je l'ai vexée ? Je veux dire, hier soir...?
Elle ne m'adresse plus la parole, j'aimerais savoir pourquoi. Après tout, c'est la seule qui me comprenne vraiment ici.
Lorsque j'ai voulu l'aider ce matin pendant les travaux pratique elle a refusé mon aide. Moi qui pensais que l'on pouvait tout se dire.
Elle est surement anxieuse à l'approche du jour J. Combien de temps nous reste t-il déjà ? Tous les préparatifs sont terminés, il ne nous reste qu'à attendre une semaine avant le réapprovisionnement de la cantine. D'ici là nous devons nous attendre à tout type d'éventualité.
J'espère qu'elle ne s'inquiète pas trop.
Après tout, nous devons réussir, nous n'avons pas le choix.
Les nuages se sont rassemblés en fin de journée, demain sera surement couvert.
Fragment n°2 , Journal de bord d'Amaya
Journée couverte.Grande nouvelle ! J'ai découvert le passage dont parlais Yukiko derrière la réserve ! Mitsuru n'a pas du beaucoup chercher. En fait, il s'agit d'une chatière mal condamnée qui devait appartenir à l'ancien propriétaire.
En cas de pépin, ça nous sera surement utile.
Peut-être devrais-je déjà m'enfuir lorsque personne ne regarde...? Non, impossible, nous avons passé trop de temps à préparer le plan, je ne peux pas les laisser tomber. Surtout pas elle.
Son état semble avoir empiré. J'ai essayé de lui remonter le moral, mais elle a vraiment l'air exténuée. J'espère que les éducateurs ne la font pas travailler davantage dans notre dos. Elle m'a adressé un sourire ce matin, j'espère qu'elle ira bien vite mieux. Nous avons besoin de rassembler nos forces afin d'être opérationnels quand l'heure sera venue.
L'orage ne devrait pas tarder.
Fragment n°3 , Journal de bord d'Amaya
Journée orageuse.Je n'ai pas envie d'en parler.
Fragment n°4 , Journal de bord d'Amaya
Journée orageuse.C'est demain le grand jour. Elle a bien récupéré. Même si nous sommes sensés garder tout cela secret, la rumeur monte dans les dortoirs. Personne ne tient plus en place. Depuis hier soir, tout le monde se répète le plan. Je vois les lèvres remuer pendant les cours. Nous ne sommes qu'un petit groupe à tenter la première percée, d'autres suivront si tout se déroule comme prévu.
….
Elle semble avoir regagné son esprit combattif. Comme si rien ne pouvait l'arrêter.
Rien ne l'arrêtera.
Je ne laisserai rien ni personne l'arrêter.
Demain...
Mon dos me fait souffrir et j'ai du mal à respirer.
Demain, il y pleuvra encore, cela ne fait aucun doute.
Demain...
- - - - - -
« -Non, n'y vas pas !
-Laisse-moi tranquille, je dois y aller !
-C'était un piège ! Ils se sont tous fait attraper ! Toi aussi tu n'y échappera pas si tu y va !
-Laisse-moi tranquille !
-Je t'en supplie, ils m'ont promis qu'ils ne te feraient pas de mal si tu n'y allais pas !
-Laisse-moi je te d...Quoi ?!
-Hi...hier, le directeur m'a convoquée. Ils savent que j'ai participé à l'élaboration du plan. Ensuite...Ensuite...Ils m'ont torturée. Je...je n'ai jamais eu aussi mal de ma vie. Les bâtons, l'eau et toutes ces planches...Ensuite...C'était tellement douloureux, je n'en pouvais plus, je voulais mourir plutôt que de continuer à endurer cela !
-Amaya, ne me dis pas que...
Les cris des capturés résonnaient à travers tout l'orphelinat.
Amaya se mit les mains sur les oreilles et hurla, en larmes tandis qu'un éclair illumina le dortoir :
-Si je l'ai fais ! Je leur ai tout dit, tout ! La réserve, les cachettes, l'heure du départ après le couvre feu ! Je t'en supplie comprends-moi, je n'en pouvais plus ! Encore maintenant je n'arrive plus à me baisser sans hurler de douleur, et ma poitrine me fait terriblement souffrir. Je t'en prie...Essaye de comprendre...
-Comprendre QUOI ?! Tu nous as tous trahis ! Toi en qui j'avais le plus confiance ! A cause de toi tout a échoué, nous n'aurons plus deux fois une chance pareille ! Tu penses un peu à ceux qui y ont cru, ceux qui vont souffrir et peut être mourir dans quelques heures par ta faute ? Tu les entends, là dans les couloirs ?! Hein, Amaya ?!! Tu te rends compte de ce que tu as fais ?
-S'il te plait...ils ne nous ferons pas de mal si on reste là...
Le regard de la petite fille blonde se voila une fraction de seconde tandis qu'elle comprenait toute l'étendue de l'atrocité à laquelle elle était mêlée.
-Tu....Tu as acheté notre protection...?
L'autre se perdait dans dans un sanglot sonore et déchirant. On aurait dit que des années de douleur s'écoulaient à travers elle pour venir s'échouer sur son visage crispé de désespoir.
-Je, je voulais nous sauver....snif...je ne voulais pas qu'il t'arrive du mal...je...ça m'a tellement fait souffrir et encore maintenant je le regrette, je ne voulais pas...je ne voulais pas...tout cela c'est de ma faute...Mais nous sommes sauvées toutes les deux et...
-Sauvées ?!
Amaya sentit toute la rage de son amie dans la gifle cinglante qu'elle reçu en pleine figure.
-J'aurais préféré me suicider plutôt que d'abandonner et de dénoncer les nôtres, et toi tu...n'as même pas su tenir ta promesse.
Elle se tourna, face à la porte.
-Ce jour, Amaya...Met fin à notre amitié.
Elle frappa contre le mur de papier qui se déchira en un bruit sec.
Dehors les cris avaient diminué en intensité. On emmenait les captifs toujours conscients dans la salle des cercueils.
-Sache que je ferai n'importe quoi pour partir d'ici. N'importe quoi. Je ne renoncerai pas. Je n'abandonnerai pas. Ce plan était un échec monumental, j'ai eu tord de le croire sans faille. Maintenant je saisirait n'importe quelle occasion, et je ne fuirai pas. Et crois-moi bien Amaya, fit-elle en se retournant, un rictus sinistre fendant son visage déformé par la colère, crois-moi que je n'hésiterai pas à te tuer si tu dresses une fois de plus en travers de mon chemin.
Elle ouvrit la porte d'un geste brutal, et changea de dortoir.
Restée seule dans la chambre des déserteurs, une petite fille noyée par le chagrin veilla jusque tard dans la nuit.
- - - - - - - - -
Un...pari ?
Exactement. Si tu parviens à garder confiance en toi jusqu'au prochain orage d'été, alors je te ferai certainement sortir d'ici.
Et....si j'échoue ?
Dans ce cas tu vivra éternellement dans cet enfer jusqu'à la fin de tes jours, sans aucun espoir de t'en échapper à nouveau.
…
Marché conclu.- - - - - - - - -
Fragment n°5 , Journal de bord d'Amaya
Journée Pluvieuse.La fuite a échoué.
Tout est fini.
Je viens de comprendre que m'enfuir ne m'importait plus. Tout ce que je souhaite c'est qu'elle seule y parvienne. Je n'ai plus aucun désir.
Moins de la moitié des enfant en fuite sont ressortis indemne de la nuit dernière. Enfin, façon de parler. Il s'agit certainement d'une nouvelle punition de la part des éducateurs. Les uns comme les autres, plus personne ne me laisse de répit. Le couvre-feu a été avancé d'une heure, Les corrections ne cessent de pleuvoir sur nous et beaucoup d'enfants partent en salle de torture pour des motifs dénués de sens.
Je subits des brimades parfois encore plus terribles que la torture des éducateurs par mes propres camarades. A ce rythme, je doute que mon corps puisse tenir encore bien longtemps.
Dans tout cela, elle est la seule pour qui rien ne semble plus compter.
Elle me regarde d'un air parfois étrange, un sourire sur les lèvres, le regard absent. Des cernes se dessinent jour après jours sous ses yeux. Je me demande si elle dort suffisamment.
Les discussions concernant un nouveau projet de fuite n'ont pas tardé à faire surface.
Bien évidemment, je reste à l'écart de tout cela.
Cela ne me concerne plus.
Elle, dans son coin, se contente de hocher la tête, et il semblerait que ces discussions nocturnes soient les dernières à faire briller ses yeux d'une volonté farouche, même si rien ne semble l'indiquer à première vue.
C'est pour cela que je veux la faire sortir d'ici.
Elle n'est pas faite pour passer le restant de sa vie à l'orphelinat.
Je sais que l'aider ne changera en rien à son ressentiment envers moi. Mais si je peux faire ne serait-ce qu'une seule chose pour l'aider à partir, alors je n'hésiterai pas une seule seconde.
Demain, les nuages disparaîtront sans doute.
Fragment n°9 , Journal de bord d'Amaya
Journée Ensoleillée.L'autre jour, après les brimades, les autres ont parlé d'une sorcière qui se baladerait dans les couloirs en gloussant et en chantant des chansons après le couvre-feu.
C'est dire à quel point nous sommes tous éreintés des nouvelles mesures drastiques prises par les éducateurs.
Elle-même m'en a parlé. Malgré toute la haine qu'elle me voue, j'ai été surprise de constater qu'elle ne me privait pas pour autant de ses rares discussions. En un sens, cela me réjouit plus que tout autre chose.
Une sorcière hein ? C'est très certainement ce que je risque de devenir, après une vie de souffrance dans cet orphelinat isolé du reste du monde.
Demain, ça sera le printemps.
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Battler entra dans la petite pièce à vivre.
Il s'assit à table et repris l'écriture de son manuscrit. A côté de lui, le chat du propriétaire se frotta contre sa jambe en ronronnant. Une fois de plus on lui avait apporté du gâteau.
Des signes de contrariété passèrent sur son visage à mesure qu'il réfléchissait. Quelque chose ne convenait pas.
« -Ça n'a pas de sens...Je ne vais pas m'arrêter pour si peu dès le début !
Tout en maugréant il esquissa quelques lignes avant de soupirer.
-C'est inutile, c'est inutile ! Fit-il en gémissant la main sur les yeux.
Le chat s'était roulé en boule sur un coussin non loin de lui et l'observait d'un air vaguement intéressé.
-Ce n'est pas comme ça que ça va tenir la route voyons ! Souviens-toi ! »
Mais l'idée ne venait pas.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE